Un expert explique les différences entre les mémoires des victimes de traumatismes

Un expert judiciaire en psychologie a témoigné au procès du général congolais Bosco Ntaganda devant la Cour pénale internationale (CPI) sur les causes des différences existant entre les mémoires des personnes ayant subi des traumatismes.

Le Dr John Charles Yuille, un citoyen canadien, a témoigné via un lien vidéo depuis le Canada, en se concentrant sur les différences présentes dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et sur les facteurs qui affectent les modèles de mémoire parmi les personnes qui subissent un traumatisme. Il a déclaré que certaines victimes pouvaient avoir des mémoires précises, claires et très nettes alors que d’autres personnes pouvaient présenter une amnésie sans aucun souvenir.

« Cela dépend de la manière dont elles ont fait face aux différents types de traumatismes. Si elles ont répondu de la même manière au même type de traumatisme, alors le modèle de remémoration [de l’évènement traumatique] ne sera pas différent », a indiqué le Dr Yuille. Il a expliqué que si une personne pouvait « intégrer le traumatisme » et être capable de donner un récit complet de son expérience traumatisante, une autre personne pouvait n’en avoir que des souvenirs morcelés ou être incapable de se souvenir de quoi que ce soit.

Selon le Dr Yuille, pour certains individus, raconter ses expériences traumatisantes « peut être thérapeutique et cathartique dans le processus de gestion du TSPT » alors que « d’autres peuvent revivre l’impact négatif de l’évènement et arrêter de répondre ».

Il a soutenu également que, afin que la Cour évalue les témoignages des victimes traumatisées, il était essentiel de déterminer la qualité de leur mémoire et de comprendre les facteurs ayant joué un rôle dans la création de cette mémoire. « Puisque vous allez rencontrer différents [niveaux] de mémoire parmi les témoins, il est primordial de vérifier si certains facteurs [identifiés par les psychologues] … sont conformes aux modèles de mémoire communiqués par la victime ».

Certains des témoins qui se sont présentés à la barre devant la CPI, y compris dans le procès Ntaganda, n’ont pas été en mesure de se souvenir de détails spécifiques des nombreux événements qu’ils ont relatés, ce qui a souvent mené à des divergences entre leurs déclarations enregistrées antérieurement et leurs témoignages apportés devant la Cour. D’autres ont éclaté en sanglots lors de leur déposition et ont demandé l’assistance de fonctionnaires de soutien en audience.

Ntaganda répond de 18 charges dont le meurtre, la tentative de meurtre, le viol, l’esclavage sexuel et l’utilisation d’enfants soldats. Les crimes auraient été commis pendant une guerre qui s’est déroulée en 2002-2003 au Congo. À l’époque, il était commandant dans l’Union des patriotes congolais (UPC), une des milices participant au conflit.

Le Dr Yuille a déclaré avoir évalué la déposition de témoins dans plus de 1 000 procès, principalement des affaires d’abus sexuel et de meurtre et avoir été témoin expert au Canada et aux États-Unis. Dans le procès Ntaganda, l’accusation lui a demandé de produire un rapport sur les conséquences psychologiques des traumatismes, en se référant à quatre témoins de l’accusation. Son rapport concerne le témoin P018, le témoin P019, le témoin P108 et le témoin P113 qui n’ont pas encore témoigné au procès. Le professeur en retraite de l’Université de la Colombie-Britannique est un des 12 témoins experts qui devraient témoigner pour l’accusation.

L’expert a expliqué que la personnalité était un des facteurs qui déterminait comment les individus réagissaient aux évènements traumatiques. Il a déclaré que les personnes « hypersensibles » sont facilement traumatisées contrairement à d’ autres personnes qui ne sont pas facilement stimulées comme celles qui présentent certains éléments d’un trouble de la personnalité limite.

Le Dr Yuille a également expliqué que certaines personnes présentaient une « réaction d’attaque », ce qui signifiait que leurs corps étaient en mesure de mobiliser des ressources psychologiques ou physiques permettant de gérer la source du traumatisme. « La mémoire de cette personne sera meilleure concernant l’attaque, le traumatisme en question », a-t-il ajouté.

L’expert a affirmé qu’un autre facteur qui avait un impact à la fois sur le traumatisme et le degré de ce traumatisme était l’impuissance. Par exemple, une victime d’agression sexuelle pouvait ressentir une impuissance du fait qu’elle n’ait pas pu se sortir de cette situation. Dans le contexte d’un combat, un des éléments qui entraînait souvent les plus forts traumatismes, y compris pour les soldats, était un pilonnage de longue durée.

Il a expliqué que, pour certaines personnes, au moins immédiatement après le traumatisme et parfois peu de temps après celui-ci, les mémoires des composantes des évènements restaient fragmentées et déconnectées et qu’il faut souvent un certain temps pour que les victimes soient en mesure d’intégrer les éléments d’un événement traumatique dans un récit chronologique.

Il a souligné que la capacité des individus ayant subi un traumatisme à raconter les événements dans un ordre clair était variable suivant les personnes. « Certaines victimes ont une mémoire chronologique détaillée, bien organisée et ont la capacité à répondre à des questions. Mais c’est différent pour une personne dont la mémoire est encore en fragments, elle a des difficultés à se souvenir des événements et ils ne seront pas dans un ordre chronologique », a-t-il précisé.

Le Dr Yuille poursuivra son témoignage devant la Cour le jeudi 21 avril. Demain matin, les audiences du procès se poursuivront avec la déposition du témoin P892.