Les avocats de M. Ntaganda demandent une suspension du procès en raison d’un juge exerçant à temps partiel

Les avocats de Bosco Ntaganda ont demandé une suspension temporaire de son procès qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) à la suite de la modification des fonctions de la juge Kuniko Ozaki en tant que juge à temps partiel dans son procès.

Dans un document déposé le 1er avril 2019, l’avocat de la défense Stéphane Bourgon a demandé à la Chambre de première instance VI de suspendre temporairement les délibérations jusqu’à ce que M. Ntaganda ait la possibilité d’intenter une action pour savoir si la juge doit être récusée de l’affaire. Il a déclaré que permettre à un juge de continuer à siéger à un procès alors qu’il existe des motifs substantiels de croire qu’il peut être récusé entraînait le risque sérieux d’un préjudice irréversible au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès équitable.

Le 4 mars 2019, une majorité de juges de la CPI ont voté pour autoriser la juge Ozaki à continuer à remplir ses fonctions dans le procès Ntaganda en tant que juge à temps partiel alors qu’elle a accepté cette semaine une nomination en tant qu’ambassadrice du Japon en Estonie. Le procès se trouve actuellement en délibéré avant le prononcé du jugement et les juges, lors d’une réunion plénière, ont autorisé la juge Ozaki à continuer de siéger au procès jusqu’à la fin de la phase de détermination de la peine.

Selon Me Bourgon, un manquement à suspendre immédiatement le procès risque de ternir l’image des deux autres juges de la Chambre de première instance VI « du fait de leur participation à des délibérations avec un juge qui pourrait par la suite être récusé au moment de leurs délibérations communes ».

Les juges Marc Perrin de Brichambaut, Luz del Carmen Ibáñez Carranza et Rosario Salvatore Aitala ont voté contre le fait que la juge Ozaki continue à siéger au procès Ntaganda. Ils ont estimé que le fait qu’une personne exerce une fonction exécutive ou politique pour un pays alors qu’elle reste juge à la CPI serait susceptible d’affecter la confiance du public dans l’indépendance de la justice.

Une minorité de juges a établi un parallèle entre la demande de la juge Ozaki et l’ancienne juge du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Elizabeth Odio Benito, qui a demandé et obtenu l’autorisation des juges du TPIY avant de se porter candidate au poste de vice-présidente du Costa Rica. Ils ont souligné que, contrairement à la juge Ozaki, la juge du TPIY s’était engagée à n’assumer aucune fonction politique avant de conclure son mandat de juge.

Dans sa demande, Me Bourgon a évoqué le cas de la juge Odio Benito, affirmant que la juge de la CPI avait agit bien différemment. La défense a accusé la juge Ozaki d’avoir manqué de franchise lorsqu’elle a demandé à devenir un juge n’exerçant pas à temps plein en ne divulguant pas à la Présidence de la Cour qu’elle allait être nommée ambassadrice.

« Elle a demandé la fin de son mandat de juge à temps plein exactement un jour avant que le Conseil des ministres japonais ne se réunisse et confirme sa nomination. Dès lors, il semble que la juge Ozaki non seulement savait et avait l’intention de devenir ambassadrice en Estonie mais était manifestement informée des détails de son poste, y compris de la date exacte à laquelle le Conseil des ministres japonais devait se réunir et débattre de cette question », a indiqué Me Bourgon.

Selon Me Bourgon, cela porte à croire que la juge Ozaki était très bien informée de sa nomination éventuelle à compter du 7 janvier 2019 mais qu’elle n’a pas mentionné ce « fait hautement pertinent » à la Présidence afin qu’elle détermine si la juge Ozaki ne devrait plus être autorisée à siéger en tant que juge à temps plein de la Cour.

Il a ajouté que la juge n’avait signalé sa nomination qu’après qu’elle ait été effective, par conséquent « le timing équivalait à un ultimatum, renforcé par les termes utilisés par la juge Ozaki dans sa lettre aux juges ».

Dans cette lettre, la juge Ozaki demandait à la Présidence de l’envisager comme une demande d’approuver le maintien de sa participation à l’affaire Ntaganda « ou bien, dans le cas où ma demande est rejetée, ma lettre de démission des fonctions de juge de cette cour ».

Dans leur avis du mois dernier, les juges dissidents ont déclaré qu’il existait un « risque important » que le fait d’accéder à la demande de la juge Ozaki n’entraîne une éventuelle demande de récusation en vertu de l’article 41(2)(b) du Statut de Rome dans l’affaire Ntaganda ou pourrait être soulevé en appel. Cet article prévoit qu’une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites peut demander la récusation d’un juge si son impartialité peut raisonnablement être mise en doute.

Les avocats de M. Ntaganda soutiennent que la nomination de la juge Ozaki en tant qu’ambassadrice place le juge en violation de l’article 40(3) du Statut de Rome, qui énonce que les juges tenus d’exercer leurs fonctions à temps plein au Siège de la Cour ne doivent se livrer à aucune autre activité de caractère professionnel.

La défense a déposé, de manière distincte, une demande à la Présidence de divulguer toute la correspondance afférente à la demande de la juge Ozaki et l’ensemble du raisonnement des juges qui ont accédé à sa demande.