M. Ntaganda est condamné devant la CPI pour viol, violence sexuelle et meurtre

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont condamné l’ancien commandant rebelle congolais Bosco Ntaganda pour les 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour lesquels il était poursuivi. Il s’agit du nombre le plus élevé de chefs d’accusation pour lequel une personne a été condamnée par la Cour basée à La Haye.

Lors de la lecture du résumé de la décision, le juge Robert Fremr a déclaré que M. Ntaganda était un auteur direct de trois crimes, à savoir de meurtre en tant que crime contre l’humanité et en tant que crime de guerre ainsi que de persécution en tant que crime contre l’humanité. Hormis le fait qu’il porte une responsabilité pénale individuelle pour ces trois crimes, M. Ntaganda a été condamné en tant qu’auteur indirect de 15 crimes.

Le juge Fremr a indiqué que M. Ntaganda avait abattu en personne un prêtre catholique âgé, Boniface Bwanalonga et qu’il avait ordonné à des soldats de tirer sur des civils fuyant dans la brousse en novembre 2002.

M. Ntaganda a commis ces crimes dans l’est de la province de l’Ituri, au Congo, en 2002 et 2003, alors qu’il exerçait les fonctions de chef adjoint de l’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), la branche armée de l’Union des patriotes congolais (UPC).

Le jugement de lundi est le premier prononcé par la Cour pour lequel un accusé a été condamné pour différents crimes sexuels. M. Ntaganda a été condamné, entre autres, pour esclavage sexuel et viol, notamment d’enfants soldats qui ont servi dans les FPLC.

« Il était courant que les membres féminins de l’UPC / des FPLC soient violés et soumis à d’autres formes de violence sexuelle lors de leur enrôlement », a précisé le juge Fremr. Il a déclaré que des éléments de preuve démontraient qu’au moins trois filles de moins de 15 ans qui étaient soldats au sein de la milice avaient été violées de manière répétée.

Les juges ont conclu que les soldats des FPLC violaient des femmes et tuaient certaines d’entre elles quand elles tentaient de résister aux agressions sexuelles. Ils ont cité les cas d’une femme et d’une fille de 11 ans agressées dans les villages de Kobu et de Buli, d’une fille de neuf ans du Camp Lingo et d’un nombre non précisé d’hommes. M. Ntaganda a été déclaré coauteur de viol et d’esclavage sexuel en tant que crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Les juges ont conclu de plus que, à Kobu, les 25 et 26 février 2003, les hommes des FPLC, sous le commandement de Salumu Mulenda, avaient capturé des civils de l’ethnie Lendu et, après avoir violé les femmes, avaient utilisé des bâtons, des coteaux et des machettes pour tuer au moins 49 prisonniers. Leurs corps ont été jetés près d’une plantation de bananes.

La Chambre de première instance VI, qui est composée du juge Fremr (juge président), de la juge Kuniko Ozaki et du juge Chang-ho Chung, ont également cité le meurtre de quatre hommes qui ont été violés par des combattants des FPLC. Le procès s’est ouvert le 2 septembre 2015 et a entendu le témoignage de 80 témoins de l’accusation et de 19 témoins de la défense.

Le verdict de culpabilité a apporté un grand soulagement au Bureau du Procureur (BdP), qui a souffert de graves revers, notamment l’acquittement de Jean-Pierre Bemba en juin 2018 et l’acquittement en janvier dernier de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et de son collaborateur. Dans ces acquittements, les juges ont critiqué l’énoncé des chefs d’accusation et l’incapacité de l’accusation à produire de preuve suffisante.

La clôture de l’affaire contre le président du Kenya Uhuru Kenyatta en 2015 et contre le vice-président William Ruto ainsi que celle du journaliste radio Joshua Arap Sang en 2016, ont figuré parmi les premiers obstacles majeurs pour l’accusation.

Avant le jugement d’aujourd’hui, l’accusation a obtenu une condamnation dans quatre procès. Thomas Lubanga, qui a été commandant en chef des FPLC, a été condamné en 2012 pour l’utilisation d’enfants soldats. Germain Katanga, un autre chef de milice congolais, a été condamné en 2014 pour des crimes commis à Bogoro, au Congo, en 2003.

Entretemps, le citoyen malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi, ayant plaidé coupable, a été condamné en 2016 pour le seul crime de guerre de destruction de monuments historiques et religieux. La même année, M. Bemba, ses deux anciens avocats ainsi que deux autres assistants, ont été accusés de subornation de témoin.

Dans une décision prise lundi, les juges ont conclu que les FPLC avaient établi une politique destiné à attaquer et à chasser les membres du groupe ethnique Lendu, ainsi que les « non-ituriens » de la région. Ceci implique le meurtre et le viol de civils Lendu ainsi que la destruction et l’appropriation de leurs biens.

Ils ont déclaré que M. Ntaganda était « déterminé à mettre en place une organisation forte capable d’expulser les Lendu » puisqu’il était le commandant le plus expérimenté de la milice.

M. Ntaganda, 45 ans, est détenu à la CPI depuis mars 2013, après qu’il soit entré dans l’ambassade américaine au Rwanda et ait demandé à être transféré à La Haye. À l’époque, près de sept ans se sont écoulés depuis que la Cour a émis son premier mandat d’arrêt à l’encontre de M. Ntaganda pour avoir recruté, enrôlé et utilisé des enfants soldats.

Lors de son témoignage pendant le procès, M. Ntaganda a évoqué sa naissance au Rwanda, son éducation au Congo et la manière dont le génocide rwandais de 1994 l’avait motivé à combattre l’injustice afin de ne pas « voir d’autres communautés vivre ce que ma propre communauté [le groupe ethnique Tutsi] a traversé ».

Il a nié avoir commis des viols et des meurtres et a déclaré qu’il avait interdit les relations sexuelles entre les combattants des FPLC. Il a aussi nié avoir recruté ou utilisé des enfants soldats, affirmant que les FPLC examinaient leurs recrues et renvoyaient celles jugées trop jeunes pour servir dans le groupe. Ensuite, M. Ntaganda a indiqué qu’il avait fait respecter la discipline au sein de la milice mais n’était en mesure de punir que les crimes dont il avait connaissance.

Les juges ont toutefois déclaré que d’autres preuves avaient réfuté celles de M. Ntaganda. Lors du procès, de nombreux témoins de l’accusation ont parlé des viols commis par les soldats des FPLC et ont affirmé que M. Ntaganda avait connaissance des crimes mais qu’il ne les a pas punis.

Un ancien membre des FPLC a témoigné à charge que les commandants de la milice avaient violé des recrues féminines tandis qu’un autre a témoigné que les combattantes n’étaient pas en mesure de refuser les avances sexuelles de la part de leurs supérieurs au sein de l’UPC. Selon l’accusation, le viol par les soldats du groupe avait été « encouragé, promis et envisagé » puisque l’UPC considérait les femmes comme un « butin de guerre ». L’accusation a déclaré que M. Ntaganda avait lui-même exploité sexuellement des femmes.

M. Ntaganda a 30 jours pour faire appel de la condamnation. Entretemps, sa peine sera déterminée après que les juges aient reçu les observations de l’accusation, de la défense et des avocats des victimes.

La totalité du jugement est accessible ici.