M. Ntaganda poursuit sa grève de la faim, le procès est retardé

La grève de la faim de l’accusé de crimes de guerre Bosco Ntaganda qui a démarré mercredi dernier a paralysé aujourd’hui le déroulement de son procès qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI). Les responsables de la Cour n’ont pas été en mesure de faire venir l’ancien chef rebelle congolais dans la salle d’audience pour des raisons médicales et, bien qu’un lien vidéo ait été installé au centre de détention pour permettre à M. Ntaganda de s’adresser aux juges à distance, les audiences sont demeurées axées sur son refus de s’alimenter, d’assister au procès ou d’autoriser ses avocats à le représenter en son absence.

Dans une déclaration aux juges écrite à la main et lue par l’avocat de la défense Stéphane Bourgon, M. Ntaganda a indiqué qu’il « avait perdu espoir » et qu’il était prêt à mourir à cause de l’ordonnance des juges de maintenir des restrictions sur ses contacts et communications, ce qu’il a décrit comme étant de la « maltraitance psychique ».

« Je n’ai plus d’espoir de voir ma femme et mes enfants dans des conditions normales. Je n’ai plus non plus aucun espoir quand à l’issue du procès. J’ai été accusé, jugé et condamné d’intimidation de témoins sans procès ou sans avoir pu me défendre », a déclaré M. Ntaganda. « Vous me punissez aujourd’hui sur la base de conversations téléphoniques qui ont se sont déroulées il y a 30 mois ».

Il a indiqué que, avec les restrictions imposées deux ans auparavant, il n’était autorisé à téléphoner à sa mère ou à sa femme que deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, pour une durée maximum d’une heure par semaine. Les conversations sont activement surveillées et il ne lui est pas permis de parler du procès. Selon M. Ntaganda, les conversations étaient coupées dans le cas où les interprètes engagés par la Cour ne comprenaient pas ce qu’il disait et qu’il écourtait lui-même les conversations pour ne pas être perçu comme une personne enfreignant les restrictions. Une fois, la semaine dernière, M. Ntaganda aurait coupé la conversation avec sa sœur qui « insistait » pour lui parler via le téléphone de sa mère.

« Je me sens mal. Je suis trop faible pour venir à la Cour. Je n’arrive pas à surmonter cette sensation d’être malade. La lecture, la religion, le sport et le travail m’ont aidé pendant de courts instants mais la sensation d’être souffrant revient…j’ai combattu dans des situations difficiles et j’ai survécu à des événements dangereux que peu de personnes peuvent imaginer. Je n’ai pas peur de mourir. Malgré des conditions de détention en prison acceptables, je n’ai jamais été maltraité comme je l’ai été à La Haye », peut-on lire dans une partie de la déclaration.

Ntaganda a déclaré qu’il n’avait pas vu ses enfants depuis qu’il s’était rendu à la Cour en mars 2013. Les préparatifs sont en court pour trois de ses sept enfants pour qu’ils viennent lui rendre visite en décembre. Il a dit que si la visite avait toutefois lieu, « cela ne serait pas une véritable visite » car il y aurait un interprète et un agent de sécurité présents avec un appareil d’enregistrement. De plus, les visites seraient limitées à quatre heures par jour pendant quelques jours.

« Une visite dans ces conditions traumatiseront mes enfants. Comme pour ma femme que je ne peux voir en privée, nous sommes mari et femme mais il m’est interdit de rechercher du soutien et du réconfort dans ses bras », a-t-il précisé. M. Ntaganda a cité le cas de Jean-Pierre Bemba qui, lorsque des allégations de subornation de témoin avaient été portées contre lui, avait eu « l’opportunité de se défendre durant son procès et, après une courte période, a continué de recevoir normalement des visites de sa famille ». Il a demandé aux juges de lui donner l’opportunité de de démontrer que les allégations « d’auteur d’intimidations auprès de témoins » portées à son encontre étaient fausses.

« Il [Ntaganda] a perdu du poids et est diminué physiquement », a affirmé l’avocat de la défense, Me Bourgon, qui a rendu visité à M. Ntaganda le week-end. Il a déclaré que le bien-être physique et mental de l’accusé était menacé et qu’il souhaiterait un ajournement jusqu’à lundi prochain.Des observations confidentielles spécifiques de Me Bourgon ont été entendues lors d’une séance ouverte uniquement au Greffe, aux juges et à la défense.

Dans l’après-midi, les juges ont ordonné au Greffe d’accélérer ses efforts pour faire en sorte que la famille de M. Ntaganda puisse lui rendre visite. Les juges ont cependant rejeté une demande des avocats de la défense d’ajournement et ont ordonné aux Greffe de mener une évaluation médicale pour savoir si M. Ntaganda était en état d’être amené en salle d’audience. Dans le cas où il serait jugé inapte à se rendre devant la Cour, un local équipé d’un lien vidéo continuera à être disponible au centre de détention pour qu’il puisse suivre le procès.

Dans ses observation orales, un fonctionnaire du Greffe a déclaré que l’état de M. Ntaganda était étroitement surveillé de manière régulière. Concernant les visites familiales, il a indiqué qu’ils avaient le soutien du gouvernement congolais dans le procédure « complexe » d’obtention des passeports et visas pour les enfants de M. Ntaganda et qu’ils « faisaient des progrès ».

Le substitut du procureur Nicole Samson a déclaré que le refus de M. Ntaganda de donner mandat à ses avocats pour le représenter en son absence était « assimilable à une entrave à la procédure » et que l’accusé devrait être obligé d’assister au procès. Elle a indiqué que M. Ntaganda « s’était imposé » sa situation actuelle et avait compromis sa légitimité avec son état médical.

Le juge président Robert Fremr a souligné que la décision de restreindre les contacts de M. Ntaganda avait un grand impact sur sa vie. La décision avait toutefois comme objectif d’empêcher tout préjudice potentiel. « La situation peut changer après la clôture de la présentation des moyens à charge de l’accusation ou dépendre du nombre de témoins », a déclaré le juge, ajoutant que la décision n’était pas liée à la nature des charge portées à l’encontre de l’ancien chef rebelle congolais.

Les audiences du procès devraient se poursuivre demain matin avec le témoignage d’un nouveau témoin de l’accusation sous le protocole établit la semaine dernière selon lequel l’avocat de M. Ntaganda représente ses intérêts en son absence.