Les réparations de M. Ntaganda : les juges nomment quatre experts mais ne dévoilent pas leurs identités

La Chambre de première instance VI de la Cour pénale internationale (CPI) a nommé quatre experts pour la conseiller sur la nature et l’étendue des réparations dans l’affaire Bosco Ntaganda. Mais la Cour n’a toutefois pas révélé les identités des experts lors de l’annonce de leur nomination.

Les experts choisis commenceront à travailler immédiatement et soumettront un rapport aux juges d’ici le 28 août 2020. La défense, l’accusation, les avocats des victimes et le Fonds au profit des victimes (FPV) auront jusqu’au 30 octobre 2020 pour répondre au rapport des experts et pour soulever toute autre question que les juges devraient examiner avant de rendre l’ordonnance de réparation.

En décembre dernier, la Chambre a demandé au Greffe de la Cour de fournir une liste des experts proposés pour les questions se rapportant à la procédure en réparations. En nommant les experts, deux hommes et deux femmes, la Chambre a déclaré qu’elle avait tenu compte de leurs antécédents et de leurs domaines d’expertise ainsi que de l’avantage d’avoir une équipe pluridisciplinaire qui inclut une connaissance du contexte local afin de garantir un rapport complet.

Le premier expert, qui dirige une organisation non identifiée, a travaillé antérieurement avec des victimes de violence sexuelle dans un pays non défini. Elle a également travaillé sur un programme relatif aux crimes sexuels en RDC pour lequel elle a documenté les obstacles aux réparations pour les victimes de crimes dans ce pays. Le deuxième expert est un gynécologue obstétricien qui a traité des victimes de violence sexuelle et qui possède une expérience de l’approche médicolégale des réparations accordées au titre d’une violence sexuelle liée à un conflit armé.

Le troisième expert possède 30 ans d’expérience acquise auprès des communautés de l’Ituri, le district dans lequel M. Ntaganda a commis les crimes pour lesquels il a été reconnu coupable. Son expérience comprend une collaboration avec les dirigeants locaux mais la Chambre n’a pas précisé son domaine d’activité. Le quatrième expert est un avocat ayant plus de 30 ans d’expérience dans le domaine des programmes de demandes, de restitution et de réparations ainsi que dans le domaine du règlement des litiges internationaux.

Selon la Chambre, la défense s’est opposée à la nomination du troisième expert, arguant que sa neutralité avait été affectée par son travail antérieur avec certaines communautés de victimes de quelques-uns des crimes pour lesquels M. Ntaganda a été condamné. Les juges ont cependant rejeté cette objection, soulignant que ces connaissances particulières, notamment de certaines communautés affectées, étaient de nature à faciliter la réalisation du rapport des experts, particulièrement dans un contexte où le déplacement jusqu’en RDC s’avère difficile.

Le rapport des experts devra couvrir l’ensemble de la responsabilité de M. Ntaganda, à savoir l’étendue, la portée et l’évolution des préjudices subis par les victimes directes et indirectes, y compris les conséquences à long terme des crimes pour les communautés affectées ainsi que le coût potentiel des réparations. Le rapport devra également traiter de la violence sexuelle, en particulier d€ l’esclavage sexuel, et de ses conséquences sur les victimes directes et indirectes. Il devra de plus indiquer les modalités appropriées pour les réparations.

En juillet dernier, la Chambre de première instance VI a déclaré M. Ntaganda coupable de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qu’il avait commis en 2002 et 2003 alors qu’il exerçait les fonctions de chef adjoint de l’état-major des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il a été condamné, entre autres, pour les crimes d’esclavage sexuel et de viol, notamment d’enfants soldats enrôlés dans les FPLC, pour les crimes de meurtre, de persécution ainsi que pour les crimes de recrutement, d’enrôlement et d’utilisation d’enfants dans un conflit armé.

La Chambre a demandé aux experts de les conseiller sur les types de préjudices qui doivent être compensés en priorité et le type de réparations collectives qui pourraient être accordées aux victimes de violence sexuelle et sexiste (VSS) qui ne peuvent être identifiées aisément à cause de la stigmatisation associée à ces crimes.

Les avocats de la défense ont précisé que les juges n’ont pas demandé aux experts d’examiner la portée de la responsabilité de M. Ntaganda puisque la Chambre était tout à fait en mesure d’évaluer la responsabilité de M. Ntaganda. Les juges ont toutefois affirmé que la décision sur le montant de la responsabilité de M. Ntaganda sera basée sur l’ampleur des préjudices subis par les victimes et le coût de leur réparation. Ils ont indiqué que, lors de l’évaluation de ces éléments, la Chambre pourrait demander l’avis des experts.

Entretemps, Sarah Pellet, qui représente les anciens enfants soldats qui participent au procès, a proposé que, puisque la Cour avait déjà reçu de nombreux rapports sur les réparations dans d’autres affaires jugées devant la CPI, la Chambre de première instance VI devrait se référer à ces rapports plutôt que de demander de nouveaux rapports.

De même, Dmytro Suprun, qui représente des victimes d’attaques, a déclaré que, au lieu de nommer des experts, la Chambre pourrait utiliser l’expertise fournie par les quatre experts du procès de Jean-Pierre Bemba. Il a affirmé que, de cette manière, « des coûts et du temps additionnels seront évités ainsi que d’importantes attentes de la part de la communauté locale » lors de contacts avec la nouvelle équipe d’experts.

Les deux équipes juridiques représentant les victimes ont proposé que si les juges persistaient à nommer des experts, ces derniers devraient très bien connaître le conflit de 2002-2003 qui s’est déroulé en Ituri ainsi que la situation actuelle de cette zone.

Dans ses observations, le FPV a déclaré que, s’ils étaient toutefois nommés, les experts devront apporter une valeur ajoutée à l’expertise déjà existante au sein de la Cour sur les préjudices résultant de crimes VSS et devront proposer des conseils sur l’adoption de principes sur les réparations destinées aux victimes de ces crimes.