Un expert explique les souffrances psychologiques subies par les victimes de violence sexuelle au Congo

La semaine dernière, une psychothérapeute a témoigné sur les souffrances psychologiques subies par quatre témoins de l’accusation qui ont été victimes de la violence sexuelle perpétrée par les troupes de l’Union des patriotes congolais (UPC) dirigées par l’accusé de crimes de guerre Bosco Ntaganda.

Maeve Lewis, un expert irlandais en psychothérapie, a évalué quatre personnes qui auraient été violées par des soldats des troupes de l’UPC en 2002 et 2003 pendant un conflit armé qui s’est déroulé dans la province congolaise d’Ituri. Mme Lewis a rédigé quatre rapports sur ces évaluations que les procureurs ont admis en tant qu’éléments de preuve.

Témoignant au procès Ntaganda qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) jeudi et vendredi, Mme Lewis a détaillé à huis clos l’évaluation spécifique qu’elle a effectué de chaque personne. Lors du contre-interrogatoire mené par la défense en séance publique, elle a déclaré que ses rapports étaient basés sur les entretiens réalisés avec les personnes anonymes dont chacun avait eu une durée moyenne de quatre heures.

Pour évaluer les souffrances ou les conséquences psychologiques, elle s’est appuyée sur les récits des symptômes apportés par chaque personne et non sur la « véracité » des présumés évènements. L’expert a indiqué qu’une évaluation de routine du stress post-traumatique consistait en « un auto-rapport utilisant une check list des symptômes post-traumatiques » et qu’il s’agissait de ce que l’accusation lui avait demandé de réaliser.

Dans le rapport d’une des quatre personnes, Mme Lewis conclut que le récit des événements par le témoin et les conséquences psychologiques sont « cohérents et crédibles ». Interrogé par l’avocat de la défense Christopher Gosnell pour savoir si elle avait d’autres informations hormis les déclarations du témoin pour soutenir cette affirmation, Mme Lewis a répondu par la négative. « je me suis appuyée sur les documents fournis par la Cour et sur les entretiens avec le témoin », a-t-elle déclaré.

Mme Lewis a rejeté les allégations de la défense selon lesquelles la capacité des personnes à identifier leurs attaquants était « discutable » car elles avaient pu être attaquées de nuit « dans des zones mal éclairées » et que les victimes ne comprenaient pas toujours la langue parlée par leurs attaquants.

Mme Lewis a indiqué être « très surprise » par le niveau de souvenir des victimes. « Une femme connaissait [l’attaquant] avant les événements. Une autre a affirmé ne pas être en mesure d’identifier la personne qui l’avait attaquée. La troisième femme a pu donner le nom d’une personne mais pas celui des deux autres », a précisé l’expert. Elle a toutefois reconnu que l’identité des auteurs n’était pas un sujet qu’elle avait abordé en détail avec ces personnes puisqu’elle « n’était pas un enquêteur ».

Me Gosnell a demandé à l’expert si le recours à un interprète pendant les entretiens avec les quatre victimes avait posé des difficultés pour réaliser son évaluation.

« J’ai confiance dans les entretiens menés en RDC. J’ai mis les femmes à l’aise dans la mesure du possible par rapport à une situation anxiogène pour elles. Des collaborateurs psychosociaux de la Cour que les témoins connaissaient et qui ont aidé à diminuer le niveau d’anxiété étaient présents à ces entretiens », a-t-elle déclaré.

Mme Lewis est le troisième témoin expert à témoigner au procès de M. Ntaganda jugé pour des crimes qui auraient été commis par ses soldats et par lui-même alors qu’il était le chef adjoint de l’état-major de l’UPC. En février dernier, les juges ont statué que Mme Lewis et deux autres experts pouvaient témoigner au procès et que ses rapports pouvaient être versés aux débats. Les avocats de M. Ntaganda ont remis en cause le témoignage de Mme Lewis, arguant qu’elle avait donné un avis sur la crédibilité des témoins de l’accusation qui dépassait le cadre de l’expertise demandé par l’accusation et qui « avait empiété » sur le rôle de la Chambre dans la détermination de la crédibilité des témoins.

Dans leur décision, les juges ont conclu que le rapport de Mme Lewis sur les quatre témoin de l’accusation était pertinent. Les juges ont été néanmoins d’accord avec la défense concernant l’avis de Mme Lewis sur la crédibilité des témoins. Ils ont affirmé qu’ils « ignoreraient » ces conclusions du rapport et que son témoignage devant la Cour ne devait pas couvrir le fait de savoir ou non si les symptômes ou les réponses des témoins en question étaient cohérents avec ceux d’autres personnes qui avaient vécu ce type d’événements.

Entretemps, jeudi, les juges ont également entendu la brève déposition du témoin P850, qui a témoigné avec des mesures de protection, notamment la déformation numérique de la voix et du visage. Il a témoigné sur les origines du conflit qui s’est déroulé entre les groupes ethniques Lendu et Hema en Ituri. Le témoin P850 a déclaré que les combattants Lendu s’étaient alliés à l’Armée populaire congolaise (APC) pour expulser les Hema hors de la ville de Mongbwalu en 2002. Il a indiqué que l’APC et les combattants Lendu tuaient les civils Hema qui restaient dans la ville après qu’elle soit passé sous leur contrôle.

Selon le témoin, qui a déclaré avoir travaillé à l’époque en tant que chercheur d’or à Mongbwalu, l’APC avait contraint les femmes à être seins nus et avait soumis les civils au travail forcé, notamment à la réparation de routes. Il a indiqué que ceux qui qui enfreignaient les règles étaient fouettés ou avaient leurs oreilles coupées.

Les audiences se poursuivront le 6 juillet avec la déposition d’un nouveau témoin de l’accusation.