Ce que pensent ceux qui y vivent: Quête de justice en Ituri

Le script ci-dessous provient d’une émission de radio diffusée les 26 et 30 mai 2016 sur Radio Canal Révélation, une station de radio située à Bunia, en République Démocratique du Congo. L’émission fait partie du projet mené par Radio Canal, intitulé « Projet de Radio Interactive pour la Paix et la Justice » qui encourage le débat sur des thèmes clés de justice en RDC. Le script a été modifié afin de retirer les informations non essentielles.

*************

Présentatrice : Le procès de Bosco Ntaganda, ancien chef adjoint de l’Etat Major Général  de Force patriotique pour la libération du Congo   « FPLC»  continue à La Haye au Pays-Bas avec le témoignage des victimes alignées par l’accusation.

Il [Ntaganda] est accusé de treize chefs de crimes de guerre et cinq chefs de crime contre l’humanité. Ces crimes auraient été commis en Ituri précisément dans le secteur des Walendu Djatsi et Baniari Kilo. L’équipe de la Radio Interactive pour la Justice et la Paix s’est rendue sur ces deux principaux axes pour parler avec la population et les chefs des secteurs qui ont vécu les événements de guerre entre 2002 et 2003.

Dans ce reportage, vous suivrez les points de vue des habitants de Nzebi, Saïo, Kilo-Etat et Kobu, où Bosco ne reste pas inconnu. Des points de vue sont partagés pendant que l’Unité de Sensibilisation de la CPI et les Radios communiquent, et parlent de déroulement de procès à la Cour. Certains voudraient même voir le procès se dérouler à Bunia. Mongwalu se situe à une centaine de kilomètre au Nord de Bunia.

Commençons par un chef d’avenue doyen de Kilo Moto [Kilo Moto est la société congolaise des mines d’or]. Il a vécu la situation à Nzebi, il souhaite que les choses redeviennent comme auparavant.

Chef d’avenue doyen de Kilo Moto : Quand il est arrivé ici, j’ai fui et je suis revenu seulement après la guerre. Ce qui m’a marqué, c’était la destruction. C’est après quatre ans que les gens ont commencé à se réorganiser. Par exemple, l’usine de Kanga, une usine de broyage, jusqu’à présent elle n’est pas reconstruite. Même la route et le courant ne sont pas de bonne qualité. Nous voulons connaitre le développement comme auparavant. Nous devons aménager d’autres sources et non celles laissées par les belges.

Il faut qu’il soit puni, il faut qu’on punisse ces personnes. Il ya eu des morts. On a même déterré les corps pour mener des enquêtes ici dernièrement. Mais la question qui reste : on est venu recenser les victimes mais jusqu’à présent il n’y a pas de suite. Nous avons plusieurs fois posé de questions à Nzebi et à Saïo et ils disent qu’ils sont venus juste sensibiliser sur l’affaire Bosco.

Nous demandons au gouvernement de songer aux victimes en essuyant leurs larmes. Ils n’ont pas de maisons et ils ont recommencé leurs vies à zéro. »

Présentatrice : [Nous avons maintenant un] chef du village Mabilindey 2, en collectivité secteur de Wanyali Kilo. Il juge que c’est important de suivre le procès à La Haye car ça concerne l’Ituri  et il recommande le pardon.

Chef du village Mabilindey :  Nous avons besoin de suivre et écouter ces procès car il y a même des fils de chez nous qui sont là. Il faut que nous suivions l’évolution de l’affaire. Quelles sont les sanctions et comment se déroule les témoignages.

Ce n’est pas une personne qui a commis le fait, il y avait plusieurs personnes. Peut-être qu’ils agissaient à  leurs insu. Alors je demande qu’on le pardonne et que cela ne se répète plus. Que la peine soit infligée mais avec l’esprit de pardon.

Quant à la justice internationale, leur procès diffère de notre justice locale. Ici, nous recourons à la coutume, mais en internationale, c’est tout autre. Il n’y a pas moyen de bien suivre et comprendre cela si on ne t’explique pas. Ça peut amener à des complications.

Présentatrice : Bosco est effectivement arrivé à Saïo et à Nzebi, à quelques kilomètres de Mongwalu centre. Cela a fait fuir certaines personnes et ils auraient perdu plusieurs de leurs biens. Nous avons rencontré un petit commerçant de Nzebi et un infirmier à Saïo. Ils parlent de la situation qu’ils ont vécue à l’époque.

Commerçant à Nzebi :  J’ai vécu les événements de la guerre ici sur place à Nzebi. Nous sommes partis et à notre retour il n’y avait plus rien. Nous sommes restés comme ça. Bosco nous a fait fuir. Je suis allé jusqu’au Nord Kivu car il y avait de tuerie. Je ne suis pas un homme qui travail pour la justice, je suis un pasteur, je demande qu’on pardonne ces gens là.

Infirmier à Saïo :  Moi, je suis infirmier. A l’époque de la guerre, je soignais les blessés. J’ai perdu tous mes médicaments. Je n’ai rien récupéré et c’est par la grâce de Dieu que j’ai recommencé une nouvelle vie. Il n’y avait aucune aide comme promis. Il y avait des pillages, j’ai soigné gratuitement les militaires et les miliciens. Les uns disaient que je soignais et donnais la force aux miliciens qu’ils combattaient alors que moi j’étais impartial, sans parti pris comme tout corps soigné pendant la guerre. Ils disaient que j’allais tout perdre puisque j’assistais les ennemis. C’est grâce à Dieu que je suis vivant. »

Présentatrice : A Kobu [50 km au nord de Bunia], la vie a repris. Le chef du groupement Tchudja a vécu les événements dans son milieu. D’après lui, Bosco a séjourné à Kobu pendant trois jours. Des gens sont morts.

Chef Kobu :  C’est très important de suivre l’affaire Bosco. Il avait fait trois jours ici à Kobu. Il a massacré, c’est vrai, plus de 52 personnes sont mortes. Les gens de la CPI sont arrivés ici pour mener des enquêtes, ils ont vu les restes de ces personnes tuées […]. Nous n’avons encore rien vu de juste quant à ce qui nous concerne à Kobu.  Il y avait des blessés, pas de bras, la bouche déformée avec de traces de balles et même d-autres parties du corps.

Nous regrettons que le colonel Kung-Fu [combattant Lendu qui se battait contre Ntaganda] a été délégué à La Haye et il est actuellement en prison à Makala à Kinshasa, lui et Dragon. Leur sort n’est pas connu jusque là.

Depuis que la CPI a commencé, ils ont fait des enquêtes […] mais il n’y a pas de solution jusque là en faveur de la population. Elle souhaite que Floribert Njabu et Ngudjolo [leaders Lendu] reviennent. La population de Kobu souhaite que la justice fasse son travail normalement. Nous avons perdu les églises, les écoles et les maisons d’habitation. Des biens ont été pillés. Maintenant il y a la paix.

Présentatrice  : Effectivement la vie a repris à Kobu. Nous avons visité le marché. A part l’or, l’agriculture se porte à merveille. Ceci explique l’afflux des divers marchands de Bambu mines, Mongwalu, Lodjo [centres de négoce et cités environnants] qui viennent se ravitailler lors du grand marché de chaque mardi à Kobu centre. Une maman marchande et une jeune adolescente venues accompagner sa grand-mère au marché témoignent.

Maman : Il n’ya pas des problèmes. Nous vendons bien sauf que le franc congolais perd sa valeur devant le dollar ces derniers jours. Nous achetons cher et vendons moins cher. J’ai commencé à vendre ici avant la guerre. Nous vendions bien, maintenant la vie coute cher.

Chaque personne veut pratiquer l’agriculture et il y a beaucoup de denrées. On veut juste avoir le nécessaire pour sa survie. A l’époque de la guerre, les gens ont beaucoup perdu. Des êtres chers [à nous] sont morts, nous avons perdu des maisons d’habitations, des biens comme des habits…

La vie, c’est ça. Se débrouiller, faire de petits commerces ou pratiquer l’agriculture au lieu de voler. Là tu peux arriver à réaliser de bonnes choses.

Jeune adolescente :  j’étudie à l’école […], je suis à cinquième année primaire. La vie à Kobu est bonne, la paix est là.

Présentatrice : Le chef de secteur des Qanyali Kilo […] suit de près la situation du procès à La Haye. A part l’unité de la sensibilisation de la CPI, il suit les émissions radio. Il souligne cependant qu’après la guerre il y a la paix, et en suite la justice. Et que celle-ci fasse son travail.

Chef de secteur des Qanyali Kilo :  Sinon, après la guerre, la vie a repris. L’autorité de l’Etat est rétablie. Nous constatons qu’il y a un calme malgré quelques poches [d’insécurité] résiduelles. Des fois il y a des coupeurs des routes mais dans l’ensemble de la région il y a quand même la sécurité.

Oui par rapport à l’état qu’on vécu, il y avait des villages qui étaient complètement détruits pendant la guerre, mais c’est maintenant que la majorité a repris la vie. C’est dans les petits coins seulement que les populations se sont regroupées par peur de voir que les miliciens pourraient revenir. Mais dans l’ensemble en tout cas, à 90% nous pouvons dire que la vie et la construction ont repris.

La sensibilisation se fait sur tout point, disons par la radio par exemple la population suit très souvent ce qui se passe autour des procès de belligérants au niveau de la CPI. Il y a aussi passage des agents de la CPI installés dans notre pays […]. Ils passent par ici souvent et lance des invitations. Ils sensibilisent la population pour l’information de ce qui se passe sur les procès soit de Bosco Ntaganda, Germain Katanga, Mathieu Ngudjolo, etc.

Après la guerre, il y a la paix et après la paix, il ya la justice. Donc il revient à la justice de faire son travail. Moi, je ne peux pas souhaiter […] qu’on puisse arrêter un tel ou qu’on puisse libérer un tel. Mais selon le fait qui a été établi, qu’on puisse juger avec équité. C’est tout simplement ça notre souhait en fin de ne pas pénaliser les victimes

Vous savez madame, ce qui s’est passé en Ituri a touché tous les coins, ce n’est pas seulement Kilo. Mais c’est tout l’Ituri dans l’ensemble. Et quand nous parlons de la guerre, nous sentons que personne ne veut plus revenir sur ces faits là. Il est actuellement question d’encourager la population de se mobiliser pour reconstruire notre province qui a été déchirée par la guerre et du fait qu’on a déjà compris que la guerre n’est pas une bonne chose, nous demandons seulement à la population iturienne de nous consolider afin de rebâtir notre chère province […]Avec l’actuel gouverneur nous ne devons que nous donner main dans la main pour l’épauler afin que nous puissions vraiment bâtir notre province.

Présentatrice : A propos de Bosco Ntaganda, effectivement il y a une équipe de sa défense qui fait des tournés à travers l’Ituri. Madame Véronique Talbot est une avocate canadienne. Elle parle de cette affaire et souhaite qu’il y ait un procès juste et équitable, et mène son enquête sur terrain.

Véronique Talbot :  Donc concernant la défense en fait, il faut d’abord rappeler qu’à la CPI il y a plusieurs parties qui sont concernées : il y a le procureur, les représentants des victimes, les juges et il y a la défense. Tous ces participants sont là pour entendre les témoins, entendre les gens expliquer tout ce qui s’est passé entre 2002 et 2003 en Ituri.

Le procureur présentement présente des témoins, présente sa preuve. Et la défense, on est là pour tester cette preuve là, pour s’assurer que la preuve représente vraiment ce qui s’est passé. Donc nous faisons par exemple des contre-interrogatoires par rapport aux témoins. Nous avons des questions à poser aux témoins. Et nous voulons nous assurer que le procès soit juste et équitable. Qu’il y ait des garanties judiciaires que monsieur Ntaganda puisse raconter son histoire et s’assurer que la preuve qui est présentée, c’est une preuve exacte. C’est en fait l’essentiel de notre travail.

Pour se faire, moi je suis ici pour faire des enquêtes sur terrain. Donc je suis ici pour écouter les gens et chercher la vérité de ce qui s’est passé ici. Le procureur a été ici depuis environ au moins dix ans pour faire ses enquêtes. Et nous à la défense ça fait depuis 2013 qu’on fait des enquêtes également. On a rencontré plusieurs personnes, on a entendu des histoires qui étaient un peu différentes de ce que le procureur présente.

Et nous, notre rôle c’est de justement continuer à chercher, continuer à enquêter et présenter enfin notre version du fait : la version de monsieur Ntaganda aux juges après la fin de la version du procureur […].

Présentatrice : Le procès Bosco Ntaganda continue à La Haye et qui a débuté le 2 septembre2015. Il y a 2 149 victimes reconnues pour participer à la procédure et au procès.

A la recherche de justice est une production de la Radio Canal Révélation Bunia dans le cadre de son projet : la Radio Interactive pour la Justice et la Paix.