18 ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome : Quel bilan pour la CPI en Ituri?

Cet article a été préparé par notre partenaire Radio Canal Révélation, une station radio basée à Bunia, en République démocratique du Congo (RDC), dans le cadre d’un projet de radio interactive pour la justice et la paix qui favorise la mise en débat des questions touchant à la justice en RDC.

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La plupart des jeunes de l’Ituri ont dressé un bilan mitigé pour la Cour pénale internationale (CPI) à l’occasion de la journée de la justice pénale internationale, commémorée le 17 juillet, date de la ratification du Statut de Rome. La Radio Canal Révélation a organisé une émission intitulée « Jeunes et perspectives sur la CPI ». Les participants ont reconnu des avancées significatives tout en observant les limites des poursuites des crimes graves en Ituri, et l’absence des réparations aux victimes, y compris pour les crimes commis par Bosco Ntaganda.

Certains ont remarqué le manque d’impact dissuasif. « La cour est active depuis 2002, trois ans après les conflits et les massacres de 1999.  Malheureusement les atrocités ont repris. Le bilan de la CPI est donc négatif », a dit un leader de la jeunesse à Bunia.

Pour d’autres, la CPI a contribué à la prévention des crimes, et alors, selon eux, le bilan est positif. « La CPI a arrêté des seigneurs de guerre. Ils ont été condamnés et ont purgé leur peine. Ils ne vont pas revenir sur ce qu’ils ont fait. Beaucoup ont peur de commettre des crimes », a dit un jeune participant.

Enfin, d’autres ont mis en avant des forces et des faiblesses. « Pour moi, le bilan est équilibré. La cour a contribué à la dissuasion, mais la CPI ne peut pas tout faire car les juridictions nationales priment », a dit Gloire Abasi, une jeune activiste.

Des experts se sont également exprimés. Pour eux, le bilan est mitigé mais les responsabilités sont partagées.  

« 22 ans c’est déjà l’âge d’un adulte qui va à l’université. Si vous regardez la cour en tenant cela en compte, on peut dire qu’elle n’a rien accompli. Pourtant, ce n’est pas le cas. De manière générale pour ce qui concerne la RDC [République démocratique du Congo], il y a eu plusieurs affaires : celles contre Germain Katanga, Thomas Lubanga et Bosco Ntaganda. Mais il faut préciser que la cour ne s’occupe pas seulement de la RDC. Cela dit, le bilan est mitigé car elle a traité peu d’affaires. Mais la cour n’est pas là pour juger toutes les affaires. C’est une juridiction complémentaire. La répression des crimes relève d’abord de la compétence des juridictions nationales […] Pour que la cour intervienne, il faut qu’elle constate qu’il y n’y a pas la volonté de poursuivre au niveau de l’État, ou bien que l’État est dans une situation d’incapacité », a dit le magistrat Xavier Macky, directeur de l’organisation non gouvernementale Justice Plus.

Il a poursuivi : « pour ce qui concerne les exactions qui ont lieu en Ituri, au mois de juin vous avez entendu la procureure de la CPI qui a interpellé tous les seigneurs de guerre, et a appelé l’État congolais à intensifier ses efforts pour que les enquêtes soient menées, tout en le prévenant qu’elle surveille la situation avec extrême vigilance et qu’elle pourrait dépêcher son équipe. »

Les jeunes se sont inquiétés sur la libération de certains individus alors que la réparation des victimes n’est pas encore effective. Ils craignent que ce soit le cas pour Bosco Ntaganda.

« Thomas Lubanga a été condamné et il a purge sa peine de 14 ans de prison. Il a choisi de purger la dernière partie de sa peine en RDC. Germain Katanga a été condamné à 12 ans de prison et il a bénéficié d’une réduction de peine, tel que prévu dans le Statut [de Rome]. Il est en Ituri en ce moment, où il est en train d’accomplir une mission qui lui a été conférée par le Président de la République. Voilà quelqu’un qui était seigneur de guerre hier et aujourd’hui il est avec nous pour sensibiliser CODECO [Coopérative pour le développement du Congo] à déposer les armes. La prison peut également contribuer à la rééducation.

« L’affaire Ntaganda est en phase d’appel. La pandémie Covid-19 a entraîné des retards dans cette affaire. Cependant il y a eu plusieurs décisions sur la réparation. Rien n’est encore perdu », a expliqué le magistrat Macky.

En effet, selon cet expert des crimes internationaux, nous devons nous féliciter du travail de la cour car nous il y a eu des résultats concrets.

Lors d’une autre activité, à savoir une matinée de presse organisée par la Radio Canal Révélation, certains jeunes se sont plaint du fait que la CPI cible les Africains. « Ceux-ci sont arrêtés, jugés et condamnés. Est-ce qu’il n’y a pas de crimes graves en Europe ? », a demandé une jeune étudiante en droit.

« Ce n’est pas vrai. J’ai eu en 2017 à partager mon expérience dans un pays d’Europe, en Géorgie, un pays proche de la Russie, où le Bureau du Procureur a ouvert une enquête. C’est un exemple pour confirmer que ce ne sont pas seulement les Africains qui sont concernés par la poursuite devant la CPI », a dit le magistrat Macky.

 « La CPI enquête aussi en Afghanistan, et elle mène des analyses préliminaires dans d’autres continents. Donc ce n’est pas seulement l’Afrique qui est visée. S’il y a beaucoup d’enquêtes en Afrique, c’est parce que la justice n’y fonctionne pas bien. J’ai toujours dit “la meilleure façon d’envoyer la CPI au chômage, c’est d’organiser ses propres systèmes judiciaires d’une manière efficace et équitable” », a dit à son tour Nicolas Kuyaku, chargé de la sensibilisation au bureau de la CPI en Ituri.

Les jeunes de l’Ituri ont finalement formulé des recommandations à la CPI.

« À 22 ans la CPI doit améliorer le problème de la lenteur dans le traitement des dossiers afin que les victimes profitent dans un bref délai des réparations », a dit une jeune fille de l’Association des Jeunes Intègres du Congo.

« Je souhaiterais une présence plus accrue de la CPI dans les pays où elle enquête. De même, étant trop éloignée des victimes, je recommande de songer aux audiences foraines », a dit un autre.

D’autres ont souhaité « que la CPI ait des représentations partout ». Selon eux, une présence plus forte pourrait aider la cour à s’imposer davantage. Certains ont, par ailleurs, exprimé le souhait que la cour « se rende autonome », c’est-à-dire qu’elle ait sa propre force de police et ne dépende pas du soutien des états ou de l’Organisation des Nations Unies pour mener à bien des enquêtes et accomplir ses activités.

Une version antérieure de cet article indiquait que la CODECO était la Coalition des démocrates congolais. Il s’agit, par contre, de la Coopérative pour le développement du Congo.