Le montant des réparations dans l’affaire Ntaganda a été fixé à 30 millions de dollars US

Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont fixé le montant des réparations destinées aux victimes des crimes à 30 millions de dollars US. Dans l’ordonnance accordant réparations rendue le 8 mars 2021, les juges ont décidé que les réparations collectives ayant des composantes individuelles étaient le mode le plus approprié pour répondre aux préjudices causés par les crimes pour lesquels M. Ntaganda a été condamné. Ils ont chargé le Fonds au profit des victimes (FPV) d’élaborer un plan de mise en œuvre de l’ordonnance de réparation et, notamment, de déterminer le montant et la nature des indemnisations qu’il serait possible d’accorder.

L’article 75(2) du Statut de Rome prévoit que la cour peut rendre, à l’encontre d’une personne condamnée, une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes. En déterminant la responsabilité financière de M. Ntaganda, les juges ont pris en compte le grand nombre des victimes de ses crimes et le coût de la réparation des préjudices qu’elles ont subis. Ils ont décrit le montant comme étant « juste et approprié ».

Les juges ont adopté les principes fondamentaux des réparations développés dans des affaires antérieures et en ont ajouté six de plus, y compris la prise en compte de la nature et des conséquences tout particulièrement graves des crimes de violence sexuelle. Ils ont également déclaré que les réparations devront tenir compte de l’équité entre les sexes, s’efforcer d’être transformatrices et que le principe de « ne pas nuire » devrait être adopté à chaque étape.

M. Ntaganda a été déclaré indigent par la Cour, ce qui signifie qu’il ne dispose pas de fonds pour payer les réparations, ce qui a poussé les juges à encourager le FPV à débloquer des fonds et à tenter de lever des fonds supplémentaires pour les financer. Dans leur ordonnance, les juges ont souligné que l’indigence n’était pas un obstacle pour imposer une responsabilité pour les réparations et ne donnait à la personne condamnée aucun droit à bénéficier d’une responsabilité réduite. De plus, sa situation financière sera surveillée afin de vérifier si des avoirs deviendront disponibles pour des réparations.

Étant donné le grand nombre de victimes et les sommes nécessaires pour financer les réparations, le FPV a été chargé d’établir des priorités en faveur des victimes qui sont particulièrement vulnérables ou qui nécessitent une assistance urgente. Elles comprennent des personnes qui nécessitent des  soins physiques ou psychologiques immédiats, des victimes handicapées, des personnes âgées, des victimes de violence sexuelle ou de violence à caractère sexiste, des victimes qui sont sans domicile fixe ou qui rencontrent des difficultés financières, des enfants nés à la suite d’un viol ou d’une violence sexuelle ainsi que des anciens enfants soldats.

Dans les six prochains mois, le FPV doit fournir aux juges une proposition décrivant les projets de réparation qu’il a l’intention d’élaborer, incluant les détails des réparations collectives proposées et des composants individuels des projets collectifs. Le FPV doit également soumettre dans les trois mois un plan urgent pour les victimes prioritaires. Étant donné la collecte de fonds « substantielle » requise pour financer les réparations, le FPV pourrait envisager une mise en œuvre par étapes.

L’ordonnance de réparation a été rendue avant la décision sur l’appel de la condamnation et de la peine de M. Ntaganda parce que le mandat de deux des trois juges de la Chambre a expiré cette semaine. Les juges ont demandé au Greffe et aux avocats des victimes de mener leurs propres « activités de vulgarisation et de communication » afin que les attentes des victimes ne soient pas indûment suscitées avant l’issue des appels. Si M. Ntaganda est acquitté, l’ordonnance accordant réparations sera considérée comme nulle.

La responsabilité de M. Ntaganda est bien plus élevée que celle des autres personnes condamnées par la CPI.  La responsabilité de Thomas Ntaganda a été fixée à 10 millions de dollars US et les juges ont ordonné des réparations collectives aux victimes, à savoir des mesures de réadaptation psychologique, des mesures de rééducation physique ainsi que des mesures socio-économiques. Pour Germain Katanga, la responsabilité a été fixée à 1 million de dollars US, fournissant une compensation individuelle symbolique de 250 dollars US par victime ainsi que des réparations collectives sous la forme d’une aide au logement, d’une aide à l’éducation, d’activités génératrices de revenus et d’un appui psychologique.

Adéquation des réparations collectives

Les juges ont déclaré que les réparations collectives renfermant des composantes individuelles étaient le type de réparations le plus approprié pour compenser les préjudices subis par les victimes des crimes de M. Ntaganda. Les réparations collectives bénéficient à un groupe ou à une catégorie de personnes qui ont partagé les préjudices subis. L’existence de groupes de victimes au-delà des niveaux individuels de préjudices est un élément pertinent de la nature des préjudices dans l’affaire Ntaganda, exigeant des réparations qui soient de nature collectives. Cette forme de réparation est la solution la plus appropriée pour répondre aux dommages causés par le viol et l’esclavage sexuel étant donnée la réticence possible de ces victimes à se faire connaître si elles étaient distinguées par une indemnisation spécifique, en raison du rejet et de la stigmatisation qu’elles subissent dans leurs familles et leurs communautés.

Dans leur ordonnance accordant réparations, les juges précisent : « Malgré leur caractère collectif, grâce à leurs composantes individuelles, les réparations collectives dans cette affaire viseront également les membres du groupe et incluront des prestations individuelles qui répondent aux besoins spécifiques ainsi qu’à la situation de chaque victime du groupe ». Les composantes individuelles sont encore à préciser.

Les experts qui ont été nommés pour conseiller la cour sur la nature des réparations dans ce procès ont proposé de donner des sommes d’argent à chaque victime ainsi que des réparations collectives ayant des composants individuels, tels qu’un enseignement ou une formation professionnelle, des soins médicaux et psychologiques ainsi que des aides pour les activités génératrices de revenus. De même, les avocats des victimes ont indiqué que les victimes avaient exprimé une préférence pour des sommes d’argent individuelles mais ont également fait valoir la nécessité de réparations collectives.

Un grand nombre de victimes

Les juges ont déclaré que les victimes admissibles à recevoir des réparations ne devraient pas être limitées aux personnes qui ont demandé des réparations ou à celles qui ont été autorisées à participer à la procédure. Au contraire, les bénéficiaires devraient inclure un plus grand nombre de victimes potentielles, étant donné l’ampleur et le caractère généralisé des crimes commis par M. Ntaganda. Selon les juges, des centaines de victimes auraient droit à des réparations, mais il est impossible de prévoir combien de victimes se présenteront à la phase de mise en œuvre, compte tenu de la nature généralisée, systématique et à grande échelle des crimes commis par M. Ntaganda.

Les experts ont estimé que, au moins, 3 500 victimes directes sont potentiellement admissibles à des réparations mais ils n’ont pas pu déterminer le nombre de victimes indirectes. Entretemps, le Greffe a déclaré que les 1 460 victimes qui avaient participé au procès Ntaganda avaient le droit d’obtenir des réparations et qu’il prévoyait qu’approximativement 1 100 victimes additionnelles demanderaient des réparations.

La chambre a déclaré que sa détermination du coût de la réparation des préjudices subis était basée sur une estimation prudente réalisée par le FPV et les experts ainsi que sur les chiffres et évaluations présentés par la chambre de première instance II lors des procès Katanga et Lubanga puisqu’ils sont similaires à ceux de l’affaire Ntaganda étant donné qu’ils concernent des crimes commis en Ituri pendant la même période.

Les juges ont souligné cependant que les victimes du procès Ntaganda avaient subi des formes différentes de préjudices et que, dans le contexte de réparations collectives avec des composantes individuelles, le coût de réparation des préjudices pourrait fortement varier d’une victime à l’autre.

Modalités des réparations

Les juges ont précisé que le FPV devait inclure les modalités suivantes dans le plan de mise en œuvre et qu’ils devront approuver avant qu’il ne soit mis en application.

  • Restitution : avec l’objectif, dans la mesure du possible, de rétablir la victime dans la situation originale qui existait avant que le crime ne soit commis.
  • Indemnisation : une forme d’avantage économique consistant à attribuer une somme d’argent pour des dommages susceptibles d’une évaluation économique. Les juges ont approuvé la demande du FPV de bénéficier d’une flexibilité suffisante afin de préparer un plan de mise en œuvre qui tienne compte des besoins des victimes et qui soit adapté aux réalités du terrain. Ils ont ordonné au FPV d’inclure une recommandation au sujet des indemnités, notamment leur montant, le cas échéant. Les juges détermineront à leur tour si l’indemnisation de tout préjudice est appropriée.
  • Mesures de réadaptation : destinées à faciliter la réinsertion des victimes dans la société, telles que des services préventifs et curatifs et des soins médicaux de réadaptation ; de l’aide au logement ; des services de réadaptation psychosociale et de la formation professionnelle.
  • Réparations symboliques : elles pourraient comprendre la construction d’un centre communautaire portant le nom de l’abbé Bwanalonga, un prêtre qui a été assassiné par M. Ntaganda.  Les juges ont précisé que toute mesure symbolique doit avoir également une utilité pratique.

Les juges ont ajouté qu’il était possible que toutes les modalités ne soient pas, à terme, inclues dans le plan.