Les avocats de M. Ntaganda demandent une suspension du procès alors que l’affaire de subornation de témoin se profile à l’horizon

Moins d’un mois après que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) aient condamné cinq personnes pour subornation de témoin, l’ancien commandant de milice congolais Bosco Ntaganda devrait bientôt répondre des mêmes charges devant le tribunal basé à La Haye. L’accusation a divulgué la semaine dernière à la défense des éléments de preuve qu’elle avait rassemblés montrant l’implication présumée de M. Ntaganda dans la subornation de témoin puis, en réaction, la défense a demandé aux juges de suspendre le procès jusqu’à l’année prochaine.

Dans l’avis déposé la semaine dernière, l’accusation a indiqué que M. Ntaganda était impliqué dans un « large plan pour entraver le cours de la justice, notamment en préparant les témoins de la défense potentiels, en faisant obstruction aux enquêtes de l’accusation et en exerçant des pressions sur les témoins de l’accusation » dans son procès en cours pour lequel il est accusé de 18 chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Les affirmations de l’accusation sont basées sur l’examen de 450 conversations téléphoniques de M. Ntaganda et de Thomas Lubanga, datant de mars 2015.  M. Lubanga, l’ancien commandant en chef d’un groupe rebelle, l’Union des patriotes congolais (UPC), dans lequel M. Ntaganda a été chef adjoint de l’état-major, purge une peine de prison de 14 ans au Congo, après avoir été transféré depuis le centre de détention de la CPI en décembre dernier.

Dans une demande déposée ce matin, les avocats de M. Ntaganda ont déclaré que l’ajournement du procès leur donnerait du temps pour analyser les informations divulguées, une garantie que tous les contre-interrogatoires à venir seront menés à la lumière des éléments divulgués par l’accusation et pour faire des demandes d’impact de l’enquête concernant la subornation de témoin sur l’équité du procès.

Alors qu’ils ont divulgué plus de 20 000 enregistrements de communications non confidentielles de M. Ntaganda et de M. Lubanga ainsi que leurs métadonnées associées, les procureurs ont indiqué que les informations étaient « essentielles » pour la préparation de la plaidoirie de la défense qui devrait débuter en 2017 ainsi que pour le choix des témoins de M. Ntaganda.

L’avocat de la défense, Stéphane Bourgon, a affirmé que la possession par l’accusation de ces preuves pendant plus de 13 mois avant qu’elles ne soient divulguées était « excessive ». Il a ajouté : « L’étendue et la durée de la non divulgation est sans précédent. Cela implique que l’accusation n’a pas cherché à obtenir des éléments de preuve sur des suspicions d’atteintes en vertu de l’ancien article 70 mais qu’elle a plutôt attendu des indications sur les atteintes telles qu’elles seront définies dans le futur article 70 ».

En vertu de l’article 70 du Statut de Rome, est coupable d’infraction quiconque tente de suborner des témoins ou de falsifier des preuves ou de produire des éléments de preuve faux ou falsifiés en connaissance de cause. Les personnes condamnées peuvent encourir jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, ou une amende, ou les deux. Les procureurs n’ont pas encore indiqué s’ils avaient l’intention de retenir les charges de subornation de témoin à l’encontre de M. Ntaganda.

La défense a également contesté la non divulgation de l’étendue des investigations de l’article 70, ses modalités et les étapes des investigations, notamment le fait de savoir si des membres de l’équipe de défense ont été « surveillés sur leur lignes téléphoniques ».

La défense a, de plus, souligné qu’il était difficile de dire si l’examen des communications de M. Ntaganda et de M. Lubanga avait été mené par une entité indépendante qui garantisse le tri et le filtrage des informations ne relevant pas de l’article 70, y compris « les discussions légales sur les témoins de la défense et de l’accusation ou les informations concernant la stratégie de la défense ».

Pour justifier l’ajournement du procès jusqu’à janvier 2017, Me Bourgon a déclaré que le fait d’exiger de la défense de continuer, sans qu’elle soit en mesure d’identifier le préjudice qui est probablement « une souffrance », ou de mener ses contre-interrogatoires, sans que des informations potentiellement essentielles soient divulguées, pourrait menacer l’équité du procès.

L’année dernière, les juges ont imposé des restrictions sur les contacts et communications de M. Ntaganda après avoir conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était engagé en personne dans la préparation de témoins et qu’il avait également poussé ses complices à le faire.

Dans l’avis, les procureurs indiquent qu’ils demanderont aux juges des mesures destinées à préserver l’intégrité de la procédure. Ces mesures comprendront la demande d’une divulgation « améliorée » par la défense des informations concernant les témoins qu’elle a l’intention d’appeler telles que :

(1) une divulgation dans les délais des identités des témoins et des documents pour permettre les enquêtes de l’accusation ;

(2) une divulgation des déclarations signées des témoins, avec l’indication des dates d’entretien et des personnes présentes lors de l’entretien, y compris des interprètes ;

(3) une divulgation des enregistrements de toutes les rencontres préalables du témoin avec l’actuelle ou l’ancienne équipe de défense ainsi que l’indication des personnes présentes lors de la rencontre, y compris des interprètes et

(4) une divulgation de la liste des personnes qui ont facilité le contact du témoin avec l’équipe de défense.

Les charges visées à l’article 70 ont été portées devant la CPI en novembre 2013 avec l’arrestation des avocats et des complices de Jean-Pierre Bemba. Les enquêtes menées dans la présente affaire comprennent l’interception de communications, y compris des communications confidentielles échangées entre M. Bemba et ses avocats. Au cours des mois suivants, dans cette affaire, l’équipe de défense de M. Bemba a exprimé des inquiétudes quant à une surveillance continue qui viole la confidentialité entre un avocat et son client.

Les juges devraient se prononcer sous peu sur la requête de la défense de M. Ntaganda. Au début de la séance de ce matin, Me Bourgon a demandé que les audiences ne poursuivent pas tant que les juges ne se prononcent pas sur sa requête. Ils ont cependant décidé que le procès se poursuivrait avec la déposition du témoin P911 le matin et celle du témoin P918 dans la soirée via un lien vidéo. Les dépositions des deux témoins, qui ont commencé à témoigner respectivement aujourd’hui et jeudi dernier, ont été entendues en majeure partie à huis clos.

Les audiences devraient se poursuivre demain matin.