Les avocats de M. Ntaganda font appel de sa condamnation et invoquent un manque d’impartialité judiciaire

Les avocats de Bosco Ntaganda, qui a été condamné au début du mois à 30 ans d’emprisonnement, ont déposé un recours pour obtenir son acquittement, arguant que sa condamnation n’était pas valablement rendue puisqu’un des juges de la Chambre qui l’a condamné n’aurait pas dû exercer les fonctions de juge à la Cour pénale internationale (CPI).

La défense soutient que la juge Kuniko Ozaki, un des trois juges de la Chambre de première instance VI qui ont condamné à l’unanimité M. Ntaganda, avait perdu son apparence d’indépendance judiciaire dès lors qu’elle avait exercé les fonctions de diplomate japonaise tout en étant juge à la CPI.

Selon la défense, le poste occupé par la juge Ozaki au sein du gouvernement japonais avait affecté la confiance en son indépendance et l’empêchait de siéger en tant que juge de la CPI, que ce soit à temps partiel ou à plein temps. La défense argue, de plus, que la juge Ozaki a cessé d’être habilitée à siéger au procès Ntaganda, comme le prévoit l’article 74(1), et affirme, dès lors, que la Chambre de première instance VI n’a pas été dûment constituée. Par conséquent, la défense soutient que le jugement de condamnation de M. Ntaganda n’a pas été valablement rendu.

L’article 74(1) du Statut de Rome de la Cour énonce que tous les juges de la Chambre de première instance assistent à chaque phase du procès et à l’intégralité des débats. Dans l’appel déposé le 11 novembre, l’avocat de la défense Stéphane Bourgon affirme que, dès lors que la juge Ozaki ne présentait plus une apparence d’indépendance, les conditions pour rendre une décision en vertu de l’article 74(1) n’étaient pas remplies : « Le jugement est, par conséquent, frappé de nullité. Un nouveau procès ou une suspension permanente est nécessaire ».

Selon l’article 40(2), violé par la juge Ozaki d’après la défense, les juges de la CPI « n’exercent aucune activité qui soit incompatible avec leurs fonctions judiciaires ou qui fasse douter de leur indépendance ».

En juin dernier, une majorité de juges de la Cour a rejeté la demande des avocats de M. Ntaganda de récuser la juge Ozaki du procès, après avoir décidé que la demande n’avait pas atteint « le seuil élevé » requis pour récuser un juge de la CPI pour motif de partialité. Les juges réunis en plénière ont également qualifié de spéculatif l’argument avancé par les avocats de la défense selon lequel la juge Ozaki était partiale à l’encontre de M. Ntaganda puisque l’équipe de défense avait demandé la démission de son poste d’ambassadrice.

En juillet, M. Ntaganda a été reconnu coupable de 18 chefs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en 2002 et 2003 alors qu’il commandait une milice dénommée Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), le bras armé de l’Union des patriotes congolais (UPC).

Les avocats de M. Ntaganda déposeront l’appel de sa condamnation en deux parties.Le premier document, en date du 11 novembre, soulève deux motifs : la présumée partialité de la juge Ozaki et l’affirmation selon laquelle les condamnations sont supérieures aux accusations portées à l’encontre de M. Ntaganda.La date limite pour déposer des arguments en appui des 10 motifs additionnels a été repoussée au 14 janvier 2020, pour permettre la traduction du jugement en kinyarwanda, la langue maternelle de M. Ntaganda, qui selon le Greffe de la Cour sera terminé pour la première semaine de janvier 2020.

Me Bourgon estime que les juges réunis en plénière ont adopté à tort une vision étroite de l’indépendance judiciaire lorsqu’ils ont refusé de récuser la juge Ozaki. Par conséquent, la défense invoque devant la Chambre d’appel les mêmes arguments que ceux invoqués lors de sa demande de récusation de la juge auprès des juges réunis en plénière.

Selon les avocats de la défense, la démission de la juge Ozaki en tant que juge à temps plein a également mis à mal son apparence d’indépendance en transférant sa source principale de revenus au Japon, alors que la rémunération des juges doit être indépendante du pouvoir exécutif pour présenter une apparence d’indépendance. « La juge Ozaki, lors des délibérations de l’affaire Ntaganda, était principalement rémunérée, au moins pour une période, par le gouvernement japonais sans qu’aucune information n’ait été rendue publique confirmant le maintien de son salaire de juge, un élément essentiel pour la réalité et l’apparence d’une indépendance judiciaire », affirme l’appel.    

Les avocats ont soutenu, de plus, que la démission ultérieure de la juge Ozaki de son poste d’ambassadeur n’avait pas restauré son indépendance judiciaire puisqu’elle s’était déjà engagée dans une activité ayant compromis son indépendance. Ils ont indiqué que le « manquement » de la juge à informer la présidence de la Cour que son objectif de devenir un juge à temps partiel était d’éviter l’interdiction de se livrer à « tout autre activité », avait par la suite altéré son apparence d’indépendance.

Dans son second motif d’appel présenté dans le document du 11 novembre, la défense précise que la Chambre de première instance a fait une erreur en condamnant M. Ntaganda pour au moins 15 actes criminels qui ne relèvent pas des charges qui ont été confirmées. Elle affirme que la Chambre a attribué à tort à l’UPC / aux FPLC ou à M. Ntaganda tous les crimes commis dans tous les lieux mentionnés dans la décision de confirmation.

La défense liste les différents actes qui, selon elle, n’ont pas été confirmés et qui ne correspondent pas aux actes et aux circonstances décrits dans l’accusation alors que ces actes font partie des condamnations prononcées à l’encontre de M. Ntaganda. Ils comprennent le meurtre de neuf patients de l’hôpital de Bambu, le meurtre de deux enfants à Kobu, le meurtre de plusieurs personnes à Kilo, à Mongbwalu et à Sayo, le meurtre d’un nombre non précisé d’hommes après leur viol par des soldats de l’UPC / des FPLC, le viol de filles et de femmes à Mongbwalu et à Kobu et le viol et l’esclavage sexuel de deux soldats de sexe féminin identifiés.